Hypermarché : la fin d’un modèle selon Arte ?

par | 19 Nov 2021 | Éthique & Environnement | 0 commentaires

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Cristelle de GoodSesame
Cristelle de GoodSesame
Content Designer et responsable éditoriale chez GoodSesame

La chaîne Arte diffusait début octobre un documentaire intitulé “Hypermarchés, la chute de l’empire”. Menée par le journaliste Rémi Delescluse, cette enquête analyse la menace qui pèse sur la grande distribution, notamment celle des géants du numérique qui s’attaquent désormais à ce marché. On y découvre les stratégies d’Amazon, ou encore du géant chinois JD.com, pour s’adapter aux nouveaux usages des consommateurs.

Pourquoi cette concurrence venue d’ailleurs est-elle prête à déployer autant d’énergie et de moyens ? Parce que marché a de quoi susciter les convoitises : la grande distribution contrôle 70% des ventes alimentaires en Europe.

En s’intéressant aux marchés américain et chinois, Arte tente d’éclairer l’avenir de l’hypermarché en Europe. Peut-on prédire les conséquences de cette guerre déclarée entre Carrefour, Auchan et Amazon ? Et qui en sera le vainqueur : les producteurs/fournisseurs, les géants du numériques, ceux de la grande distribution classique ou bien le consommateur ?

Voici ce qu’il faut retenir du documentaire choc de la chaîne Arte sur le modèle de l’hypermarché.

1# Selon le reportage d’Arte, les hypermarchés ne font plus recette

Premier constat du journaliste d’Arte : le modèle de l’hypermarché où l’on trouve tout sur place peine à attirer les clients. Même le premier groupe de la grande distribution française, Carrefour, est touché par cette désaffection du consommateur.

« Ce qui est grand ne fait plus rêver. La grande distribution est associée à une forme de déshumanisation du commerce, associée à la surconsommation à un moment où on prend conscience des enjeux écologiques de notre modèle de consommation. »

Philippe Moati, économiste.

Le gérant d’un hypermarché confie à la chaîne Arte que, malgré ses 17 millions de chiffre d’affaires par an : “si on dégage 50000€ [de bénéfices], c’est très bien”.

En cause : les plateformes e-commerce, qui ont progressivement capté le non-alimentaire (habillement, électroménager, high tech, etc.) où les marges sont plus élevées. Mais également aux frais fixes que la gestion de très grandes surfaces entraîne. Conséquence : les hypermarchés n’ont d’autre choix que de durcir les négociations sur l’alimentaire où les marges sont bien plus faibles.

Rayons d'un hypermarché

Rayons d’un hypermarché

Afin de pouvoir proposer toujours plus de remises pour attirer les clients, les hypermarchés sont obligés de réduire leurs dépenses. Et tous les moyens sont bons pour y parvenir.

2# Quand les prix baissent, les fournisseurs paient les pots cassés

Les fournisseurs sont le point de pression des distributeurs

“Quand on touche aux fournisseurs, on touche à la centrale nucléaire de la grande distribution alimentaire.”

Jérôme Coulombel, ancien grand cadre chez Carrefour.

Pour les hypermarchés, les fournisseurs sont le nerf de la guerre ; le reportage d’Arte fait d’ailleurs intervenir Marwan Mery, expert en négociation d’ADN Group. Ce dernier rapporte les propos glaçants du directeur d’un groupe de la grande distribution : “Ce qui est important, c’est de briser les jambes des fournisseurs. Une fois au sol, on commence à négocier.”

Au programme de ces négociations annuelles : entretiens dans des pièces minuscules glacées ou surchauffés, chaises bancales, remarques sexistes et dénigrantes, menaces verbales… Toutes ces techniques n’ont qu’un seul objectif : réduire au maximum le coût de la marchandise, quitte à imposer des “services gratuits”. A ce propos, le commercial d’une marque avoue être obligé de participer bénévolement à l’inventaire annuel de l’hypermarché, ou encore d’assurer lui-même la mise en rayon de ses produits !

Les centrales d’achat dictent leur loi

Que faire des fournisseurs qui ont le pouvoir de résister à ces pratiques ? Comme le dit l’adage, l’union fait la force. Les grands groupes de la grande distribution ont ainsi eu l’idée de s’unir autour de centrales d’achat. Ces super-centrales européennes ont aujourd’hui une force de frappe telle que même les grandes marquent cèdent à la pression. A titre d’exemple, Nestlé a fini par perdre en 2018 son bras de fer face à la centrale AgeCore, qui regroupe 24 000 magasins en Europe (dont ceux du groupe Intermarché).

La stratégie du chantage mise en place par Carrefour

Le géant Carrefour s’est retrouvé face à un problème épineux : l’approvisionnement des magasins de centre ville engendre un surcoût important. Pour surmonter cette difficulté, Carrefour a mis en place dès 2016 une stratégie bien huilée. Nommée RCDP, ou remise complémentaire de proximité, son objectif est alors de faire supporter ce surcoût aux fournisseurs. Ce plan documenté détaille ainsi la stratégie du groupe pour faire plier les fournisseurs qui n’acceptent pas leurs conditions.

“Le rôle du distributeur est de faire payer au fournisseur une grande partie de ses coûts.”

Jérôme Coulombel, ancien grand cadre chez Carrefour.

Point important : l’acceptation des termes décrits dans la RCDP est un prérequis à la négociation avec les fournisseurs. Et face aux fournisseurs récalcitrants, une série de mesures de plus en plus coercitives sont prévues. Jérôme Coulombel en donne de nombreux exemples :

  1. Rupture des contacts avec les équipes commerciales ;
  2. Retrait les produits des catalogues promotionnels ;
  3. “Déstratage” consistant à “mettre de côté certaines gammes de produits pour affaiblir les fournisseurs” ;
  4. Pression finale : la sanction “typex”, qui prévoit un déréférencement partiel ou total de la marque.

3# Carrefour fait des bénéfices sur le dos de ses franchisés

Les magasins de proximité de Carrefour constituent la branche d’activité en pleine croissance de l’enseigne. Par ailleurs, la majeure partie d’entre eux sont des magasins sous franchise. Ainsi, sur les 5300 magasins de l’enseigne, 85% sont franchisés. Le journaliste d’Arte quitte alors le monde de l’hypermarché pour se rendre chez Sylvain Couvreux, gérant du Carrefour City du Mans. Ce dernier confie avoir beaucoup de difficultés à être rentable. Cela peut paraître difficile à croire, et pourtant, l’explication nous est donnée par le gérant :

“On achète nos marchandises beaucoup trop cher”.

Femme faisant ses courses au supermarché

Crédit photo : Tara Clark sur Unsplash

Le journaliste d’Arte révèle alors qu’il ne bénéficie pas des mêmes tarifs d’achat que les hypermarchés du groupe Carrefour. Alors pourquoi ce gérant ne s’approvisionne tout simplement pas directement en hypermarché ? Tout simplement parce qu’il a les mains liées : il a signé un contrat d’approvisionnement sur 99 ans avec le groupe Carrefour. Afin de maintenir son entreprise à flot, le gérant de ce magasin franchisé n’a pas d’autre choix que de faire appel à des stagiaires et apprentis. Une main d’œuvre gratuite.

Le reportage d’Arte conclut sur le sujet en assurant que cette stratégie permet au n°1 des hypermarchés de maintenir ses bénéfices en France .

4# Amazon se lance à la conquête des produits frais

Après avoir pris des parts de marchés aux hypermarchés sur le non-alimentaire, le commerce en ligne s’attaque désormais aux produits frais.

« L’arrivée de nouveaux acteurs fragilise la grande distribution à un moment où le secteur a besoin d’investir dans la modernisation de leur parc de magasins et dans leur révolution numérique, car ils ont pris un retard considérable. »

Philippe Moati, économiste.

Le principal nouvel acteur dont il parle, c’est Amazon. L’enseigne américaine ambitionne depuis le départ d’être un “commerce total”. Ce rêve d’hégémonie est au cœur de la stratégie de la marque : opérer à perte jusqu’à ce que ses concurrents ne puissent plus suivre le rythme. Une fois ses concurrents au sol, Amazon dominera le marché. Mais comment la célèbre marque au sourire a-t-elle prévu de conquérir la grande distribution ?

Au revoir hypermarché, place au caddie connecté

Amazon place son premier pion sur l’échiquier en rachetant Whole Foods aux États-Unis pour 13 milliards de dollars. Puis, à peine trois ans après, Amazon lance sa propre enseigne, Amazon Fresh. Le concept a tout pour plaire : des caddies connectés assurent l’intégralité de l’expérience d’achat, de l’enregistrement des produits au paiement. Investissant massivement dans les nouvelles technologies, l’enseigne mise sur la personnalisation de l’expérience d’achat. Chaque action du client fidélisé par abonnement est enregistré par le caddie – même le simple fait de reposer un produit en rayon – afin de comprendre et d’anticiper les comportements d’achat.

Le caddie connecté dans un hypermarché Amazon (extrait du reportage Arte)

Le caddie connecté dans un hypermarché Amazon (extrait du reportage Arte)

Rémi Delescluse, le journaliste d’Arte, partage son analyse au sujet de ce nouveau concurrent pour les hypermarchés :

“Le groupe a créé un écosystème de consommation où le physique et le numérique ne font plus qu’un”.

En Europe, Amazon vend déjà des aliments sous sa propre marque, et détient 10% du marché français des produits de grande consommation.

5# La Chine mise sur l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies

Comme l’avenir de la grande distribution en Europe est trouble, certains spécialistes prédisent le remplacement des leaders historiques par de nouveaux acteurs, spécialisés dans la logistique et l’approvisionnement. C’est d’ailleurs le cas en Chine, où les leaders de la grande distribution cherchent à posséder toute la chaîne d’approvisionnement. C’est d’ailleurs un acteur majeur dans la logistique, JD.com, qui se lance dans la construction de nouveaux supermarchés hyper connectés.

Dans ses magasins, JD.com n’emploie plus personne en caisse. Les salariés sont principalement employés à la préparation des commandes. Ces dernières sont ensuite livrées grâce à des véhicules électriques autonomes. JD.com mise avant tout sur le service à ses clients ! En cas de petit creux pendant les courses, il suffit de s’adresser à des chefs cuisiniers, employés par l’enseigne, pour cuire et préparer un repas avec les aliments achetés…

Cependant, tant que la production n’est pas contrôlée, le risque de ne pas maîtriser intégralement les prix de vente subsiste. Pourquoi donc ne pas envisager des fermes high-tech qui produisent sans personnel grâce à l’intelligence artificielle ? Le reportage nous fait découvrir une entreprise qui fait pousser des épinards hors sol, dans de l’engrais liquide. La boucle est bouclée, l’entreprise chinoise maîtrise toute la chaîne de production – le risque de mauvaises récoltes en moins.

En conclusion

Posant un état des lieux brutal pour les acteurs historiques de la grande distribution, le reportage d’Arte fait écho à la mort prononcée des hypermarchés depuis la fin des années 90. La critique d’une forme de commerce déshumanisée converge dorénavant avec des préoccupations d’ordre écologique. Mais le consommateur s’est habitué à obtenir des marchandises toujours moins chères, toujours plus vite. Pour preuve, l’engouement pour un événement comme le Black Friday. Entre la volonté d’humaniser l’acte d’achat et l’accès à des technologies toujours plus performantes, le grand écart est difficile pour le consommateur.

Ce que le reportage d’Arte sur l’avenir des hypermarchés ne dit pas

Et si le consommateur avait le pouvoir de choisir au-delà de l’alternative imposée ? Entre hypermarchés désuets et nouveaux commerces hyperconnectés… l’avenir qui se profile n’est peut-être pas tout tracé. Ne pouvons-nous pas ouvrir une troisième voie, plus raisonnée et durable ? En attendant, la destruction programmée de nombreux emplois peu qualifiés dans la grande distribution a commencé. Pour citer un épisode de la chaîne satirique Broute dédié aux caisses automatiques  :

“Ce qui est marrant, c’est que avant, quand on voulait faire peur à un enfant, on lui disait : attention, tu vas finir caissière ! Alors que, maintenant, s’il arrive à le devenir, là ce sera vraiment une prouesse !”

 

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[Crédit photo de couverture : Markus Spiske sur Unsplash]

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